Ce mois-ci photographes et peintres ont été les inspirateurs des propositions d'atelier.
"être toujours curieux, préoccupé, ne pas passer à côté des choses simples, si simples que je risquais de ne plus les voir"préconise le photographe Raymond Depardon.
A partir de photos extraites de son livre " la France", apprenons, nous aussi, à regarder le monde le plus quotidien, presque ennuyeux, usé par une apparente banalité pour en sortir des lignes, des images, des chemins et décrypter tous les messages qu'il nous renvoie.
En écho, à cette attitude, je citerai la profession de foi du peintre et poète Gaston Chaissac "Ecrivain et chroniqueur avant tout et fidèle à tout ce que je vois de ma fenêtre, ma vision se brouille".
Comment transformer en langage sa vision du monde et donner un sens, ou une trace à son existence.
Voici le texte d'un adolescent, Paul, qui a choisi cette photo et s'est lancé dans l'aventure.
L'attente
du diner à Graveline après l'entrainement
Assis sur ma
borne, emmitouflé dans mon pull à col roulé effiloché, à côté
de Louis, je trouvais l'attente longue.
Voila une heure qu'on n'avait
pas changé de position. La lumière devenait orangée. La rivière
plus calme qu'au matin semblait aller se coucher avec le soleil. Le
gros pont en béton avec ses deux arcs massifs n'avait pas bougé
d'un pouce depuis une éternité. Le bruit des voitures avait disparu
et la vieille villa était toujours aussi calme et vide. Devant le
poteau électrique la poubelle qui pendant dix minutes avait été la
cible de nos pierres, était toujours fidèle à son poste, cachant
un sac poubelle. Au loin, sous le pont, deux pécheurs restaient au
bord de l'eau, immobiles comme des hérons qui surveillaient la
rivière. Un grognement me sortit de ma rêverie, c'était le ventre
de Louis qui criait famine. Nous échangeâmes un regard, eûmes un
léger fou rire, puis, nous repartîmes dans notre interminable
attente pensive. Des crissements de pas sur les graviers, nous firent
tourner la tête: les inséparables, Loris et Jeff arrivaient côte à
côte. Ils s'arrêtèrent un moment pour lancer des cailloux dans
l'eau. Il y eut des "ploufs" puis des "splashs".
Une fois lassés de leurs passe-temps, le calme revint. Un sifflement
me frôla l'oreille et telle une guêpe, un caillou percuta le panneau
bleu marine avec pour écusson une grosse croix blanche. Une série
de "bings" violents déchirant les tympans éclata comme si
la guêpe était poursuivie par un essaim.
Sans savoir
pourquoi, je pensai à Martin qui en ce moment était à Kersaint, en
robe de chambre, les cheveux mouillés en train de jouer sur la
citerne avec le sifflement de la cocotte minute venant de la cuisine.
Alors que moi, j'étais au bout de la France, à côté d'une zone
industrielle à attendre l'heure pour diner au flunch, les doigts
meurtris par les ampoules, les affaires légèrement humides, et une
sentation d'être crasseux alors que jamais de ma vie je ne me lavais
autant de fois par jour. Jeff et Loris avaient pris place sur les
pierres à coté de nous partageant notre silence.
Il y eut des
nouveaux bruits de pas sur les graviers, mais cette fois-ci, tout le
monde arrivait pour monter dans les camions.
Le 1/12/2014 Paul